Le Valjoie à Gavray
La sortie du 14 avril 2018 restera longtemps dans les annales de notre société comme l’une des plus catastrophiques. L’après-midi avait pourtant bien commencé sous un beau soleil, promettant une belle journée à la découverte du riche programme préparé par Rémi Pinet, quand soudain l’orage éclata, déversant des trombes d’eau tout au long de la visite, sur la centaine de membres présents.
Ceux qui héroïquement ont bravé les éléments déchaînés jusqu’au bout, garderont portant le souvenir de la découverte d’éléments remarquables du patrimoine de cette région à l’est de Gavray.
Aujourd’hui hameau de la commune de Gavray, le Valjoie était, jusqu’à son rattachement en 1795, une paroisse placée sous le patronage de saint André. Daniel Levalet a émis, il y a quelques années, que comme l’église Saint-André d’Antrain, cette dédicace rappelait celle de la cathédrale disparue d’Avranches, et pouvait être la trace d’une ancienne limite du diocèse d’Avranches au haut Moyen Âge.
La Valle Jude (ou Judas !) au XVIe siècle va devenir au XVe Valjouast, puis avec la Révolution, Valjoie. L’histoire féodale de cette paroisse disparue a fait l’objet d’une étude approfondie par notre confrère Charly Guilmard en 2010 : Les seigneurs de Saint-André-du-Valjoie (1373-1789). On y découvre que la paroisse était au Moyen Âge partagée en deux fiefs, l’un appartenant au XIVe siècle aux d’Argouges de Gratot, l’autre à une riche famille de la bourgeoisie saint-loise, les Le Prestel.
Propriétaire du « grand manoir au Prestiaux », cette famille était, de génération en génération, au service des rois de Navarre, seigneurs de Gavray. En 1310, Michel Le Prestel était trésorier des guerres du roi de Navarre, son fils Jacques remplissait la même charge, lorsqu’en 1364 il fut fait prisonnier dans la ville de Mantes par du Guesclin. Le roi Charles V entre dans la ville mais, ayant reçu une pierre, ordonne que les partisans du roi de Navarre, faits prisonniers, soient exécutés. Jacques Le Prestel et vingt bourgeois de Mantes seront décapités.
Charles le Mauvais semble avoir pris soin des enfants du condamné, et c’est peut-être à cette époque qu’ils vont devenir seigneurs du Valjoie, à l’ombre protectrice de la forteresse de Gavray. En 1409, Jean Le Prestel est écuyer, échanson du roi de Navarre et seigneur de Saint-André-du-Valjoie. Le fils de ce dernier, Guillaume, va rallier la cause du dauphin Charles pendant la deuxième moitié de la guerre de Cent ans. Après avoir survécu à Azincourt, il sera l’un des défenseurs du Mont Saint-Michel pendant le long siège anglais, chargé de l’approvisionnement du salpêtre et du soufre pour l’artillerie.
À sa mort en 1456, le fief passe à son neveu Thomas l’Ours, descendant d’une autre famille de serviteurs des rois de Navarre en Cotentin, puis par mariage aux Ferey. Charly Guilmard a très justement fait remarquer la similitude de blasons et de noms avec la très ancienne famille des Farcy, sans relever pourtant de liens entre ces deux familles.
Guillaume Ferey réunira les deux fiefs au milieu du XVIe siècle, en achetant à Jean d’Auxais le fief du Chouquet. En 1544, il devient secrétaire privé du roi François 1er, charge qu’il conservera sous Henri II, François II et même Charles IX. Il fut même ambassadeur du roi aux Pays-Bas entre 1566 et 1568.
Vendue en 1602 à Pierre de Berauville, la seigneurie de Saint-André-du-Valjoie restera dans cette importante famille jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, avant d’échouer dans les mains des Guichard de la Maudouiterie (de Ver), qui s’y maintiendront bien après la Révolution.
Du logis seigneurial, probablement reconstruit à la fin du XVIe s. ou au début du siècle suivant, il ne reste plus rien. Édifié près de l’église, il semble avoir disparu dans le courant du XXe siècle. Le cadastre impérial montre une grande cour carrée, bordée par deux grands corps de bâtiments parallèles. À l’ouest, un corps de communs, avec un logis porche en son centre et un pavillon à l’angle nord. À l’est, un grand logis d’habitation, entre cour et jardins à l’arrière.
Aujourd’hui réserve à bois, ce qui a le mérite d’en assurer la conservation, l’église Saint-André avait pour patron l’abbé prémontré d’Ardenne, aux portes de Caen, à qui elle avait peut-être été donnée en 1199, avec l’église voisine de Lengronne, par Richard du Hommet.
Publiée par Charly Guilmard, une description détaillée de 1866 permet de restituer l’édifice et son environnement d’alors. La nef et le chœur, plus étroit, étaient couverts de chaumes, un petit clocheton en charpente couvert d’essentes abritant l’unique cloche. Le mobilier était alors composé d’un autel avec tabernacle à colonnes torses et jours « fermés par du papier », du XVIIe siècle. Le tableau central, représentant sainte Appoline, était encadré des statues en pierre des deux patrons de l’église, saint André et saint Gorgon, et surmonté d’un bas-relief « en albâtre » représentant Marie-Madeleine (?). Enfin la nef abritait une statue de Saint-Martin.
De ce mobilier, de l’enceinte en terre du cimetière avec un if et de grands arbres, il ne reste plus rien… sauf quelques pierres çà et là, et la trace de la fontaine Saint-Gorgon qui était l’objet d’un pèlerinage local, le 8 septembre.
La nef de l’église conserve dans ses maçonneries d’importants fragments de sarcophages mérovingiens en calcaire coquillier de Sainteny, preuves de l’ancienneté du site, et au revers de la façade occidentale de la fin du XIIIe siècle, des traces de peintures murales assez importantes. Sous et sur plusieurs couches superposées de décors de faux appareils à doubles traits verticaux ornés de fleurettes, nous avons cru distinguer, à la lumière d’une torche, à gauche de la porte, une grande figure monumentale, que nous proposons d’identifier comme un Saint-Christophe portant l’Enfant Jésus sur son bras ; et à droite de la porte, une sainte au visage entouré d’une guimpe, que nous n’avons pas pu reconnaître. Enfin, à droite de la porte, il nous a semblé découvrir une aile… et peut-être une représentation de l’archange Saint-Michel terrassant le dragon à ses pieds. L’état très dégradé des peintures et l’absence d’éclairage rendent très difficile leur identification, mais le visage très bien conservé de la femme, comme le décor en faux apparat, suggèrent la fin du XIIIe siècle, voire le début du XIVe.
Avant de quitter cette église, il me faut relater que, pendant la Révolution, elle fut le théâtre de fausses messes, célébrées dans un latin approximatif devant plus de deux mille personnes par les deux agriculteurs acheteurs de l’église. Denis Duchesne et Roch Jallet, à l’issue de ces espèces d’offices, quêtaient à leur profit parmi la nombreuse assistance. Envoyés au tribunal correctionnel de Coutances le 9 brumaire de l’an VII (30 octobre 1798), ils furent condamnés à un mois de prison. Enfin notre confrère Jacques Langelier se souvient être venu assister à la messe dans cette église au lendemain du débarquement de 1944.