La fondation d’un anniversaire dans la collégiale Saint-Évroult de Mortain (1362)
En 1792, conformément à la loi sur la confiscation des papiers des établissements ecclésiastiques, les archives relatives au comté de Mortain – collégiale Saint-Évroult, abbaye de Savigny, de Moutons, Abbaye-Blanche, mais également les archives des familles nobles… – sont déposées à Mortain, alors chef-lieu de district. Elles sont entassées sans véritable soin avec les différents fonds dans les greniers de l’hôtel de Vaufleury (autrefois sous-préfecture, puis Hôtel-de-Ville) de l’ancien comté de Mortain.
Les archives de la collégiale Saint-Évroult de Mortain, sans doute jugées moins précieuses, n’ont pas connues le sort de celles de l’abbaye de Savigny, versées aux Archives nationales, et sont restées à Mortain[1]. Notamment utilisées comme matériau historique par Hippolyte Sauvage lors de la rédaction de ses Recherches historiques sur l’arrondissement de Mortain[2], elles attirent alors l’attention de l’archiviste départemental François-Nicolas Dubosc qui vient à Mortain en 1853 chercher ce qui restait, pour les déposer aux Archives départementales de la Manche[3]. Or, il est très probable qu’Hippolyte Sauvage a, à ce moment, soustrait une partie de ces archives aux recherches de l’archiviste[4].
Ce riche fonds – y figurent notamment le vidimus de la charte de fondation de la collégiale de Mortain daté de 1333, les privilèges du chapitre ou encore des archives de comptabilité, d’aménagement de l’église… – a échappé aux destructions de 1944. Inventorié par le chanoine Yves Delaporte en 1948, il est maintenant consultable aux Archives départementales de la Manche (sous la cote 3G), où il a été versé par la ville de Mortain.
Parmi les mille titres que renferme le fonds de la collégiale de Mortain, se trouvent quinze actes de fondation de messe pour les défunts (ou obits) [5]. Célébrées pour le salut et le souvenir des défunts, ces fondations de messes d’anniversaire attestent de la piété des laïcs habitant à Mortain ou aux alentours.
Le document que nous proposons aujourd’hui est daté du 30 juin 1362[6] : Johan Halle, alors sergent de Mortain, donne à la collégiale Saint-Évroult une rente annuelle de vingt-quatre sous tournois assise dans un pré tenu sur la rivière de la Cance par Robert Buley et Gieufroy Amabin. La rente doit servir à célébrer deux messes dans la collégiale, pour l’anniversaire des défunts Johan et Johanne Halle, fils et fille du donateur, qui avaient également exprimé le vœu d’y élire leur sépulture.
Le document est muet quant aux causes du décès des deux enfants de Johan Halle. Cependant, la région de Mortain est à cette époque le théâtre d’une lutte entre les Anglais, partisans du roi de Navarre, alors comte de Mortain, et les fidèles du roi de France, les premiers utilisant le château comme point d’appui pour des opérations contre les troupes française[7]. En 1362, Bertand du Guesclin y mène d’ailleurs une opération militaire[8].
[1] Emmanuel Poulle, « Le transfert à Paris du chartrier de Savigny en 1839 », R.A., t. 75, 1998, p. 201-219 et t. 76, 1999, p. 16-19.
[2] Hippolyte Sauvage, Recherches historiques sur l’arrondissement de Mortain, Mortain, A. Lebel, 1851 (réimpr. : Saint-Pierre-de-Salerne, G. Monfort, 1981).
[3] Victor Gastebois, Le Vieux Mortain, Mortain, Imprimerie-Librairie G. Letellier, 1930-1931, p. 110-111.
[4] Yves Delaporte, Inventaire des archives de la collégiale de Mortain. Sous-série 3G, Saint-Lô, Archives départementales de la Manche, 1948. Cet inventaire est également consultable en ligne à l’adresse suivante : http://viewer.ad50.mnesys.fr/accounts/mnesys_ad50/datas/medias/inventaires/ancien/3_G.pdf.
[5] 3G1330-1459.
[6] Archives départementales de la Manche, 3G301.
[7] En 1358, Louis de Mantes, marchand et cultivateur, obtient des lettres de rémission alors qu’il était réfugié à Mortain lors des lutte en Navarrais et Français (Archives nationales, JJ87, n° 105, fol. 74). En 1359, on mentionne un siège à Mortain (Archives nationales, JJ87, n° 336, fol. 218).
[8] Et après la besoigne et prinse de Saint Martin de Seez, avint que Bertran du Guesclin oyt nouvelles, que bien VIC combatans d’Englois et de Gascons estoient logiez sur les champs vers Saint Guillaume de Mortaing. Et quant le dit Bretran le sceut, il ala celle part à tout environ IIIIC combatans à II lieues environ près de Mortaing, et mout appertement lui et ses gens leur coupurent seure et pou tindre les diz Englois et Gascons et s’enfouirent les premiers les Englois, et furent bien III cens Englois et Gascons mors et prins et plus (Auguste Molinier et Émile Molinier, « Chronique Normande du XIVe siècle », Société de l’Histoire de France, Paris, Librairie Renouard, 1882, p. 160-161).
*************************************************************************************************A touz ceuls qui ces lettres verront ou orront, Guillaume Gautier, prestre, garde du seel des obligations de la viconte de Mortaing. Salut. Sachent que par devant Loys de Mante, chevalier, tabellion ace commis et establi fut present Johan Halle, sergent de Mortaing, qui cognut et confessa de sa bonne volente soy aveir donne et donnet encore presentement en pur et fruit don et esmone a hommes honnorables et discrez le doyen et chapistre de leglise de Mortaing vint et quatre soulz tourneys dannuel rente chescun an en propeaute dore et avant affin et pour cause que deux messe aveques le service ace appartenant soient celebrees chescun an dore en avant en la dite eglise pour les trepassez pour Johan Halle son filz et Johanne sa fille et que iceuls fils et fille soient mis en sepulture en la dite eglise de Mortaing. Apprendre et lever chescun dore en avant la dite rente au diz doyen et chapistre ou aleur commande ou au porteur de ces lettres sur Robert Bulet dit Nicole et sur Gieufroy Amabin acause dun pray que ilz tient du dit Halle assis sur la riviere de Cance de la quelle rente le dit Johan Halle se dessaisit presentement et en saisit les diz doyen et chapistre pour touz temps dore en avant voulant et obligeant que les diz doyen et chapistre ou leur commandement portent ces lettres ayant saisie et possession dicelle rente par la lecture dicelle en lieu qui son porteur ou par le sergent du lieu tout foez que il leur plera luy present ou absent. Et pourront les diz doyen et chaspitre qui aux cause deuls ou le porteur de ces lettres faire plene justice sur le dit prey pour la dite rente ou sans sergent lequeil que il leur plera et est sera et seront tenuz le dit Johan Halle et ses hers garantir defendre fournir accomplir et faire valoir les diz vint et quatre soulz de rente chescun an dore en avant sans dechie ne amensement au diz doyen et chapistre en eschange ailleurs sur son propre heritage au nuelz appartenant valoir avaloir et mest en estoit. Et quant es choses dessus dites tenir en lamaniere que dit est pour le temps avenir le dit Johan Halle obliga soy et ses hers son corps atenir en personne et tous ses biens meubles et heritages ou que il soient prins et avenir apprendre et avendre par justice pour le dessus des choses dessus dites et pour rendre touz les couz et dommages faiz sur ce. Et jura sur saint evangiles que james nira abimme fera contre la teneur de ces lettres en renoncant tant pour luy que pour ses hers et ayans cause de luy atout defensse qui ace aidier luy pourroient et au dit porteur. En tesmoin dece nou avons seellee ces lettres dit seel sauf tout autre droit. Ce fut fait lan de grace mil trois cens sexante et deux le jeudi apres la feste saint pere et saint aoul.
Document proposé par Claude Groud-Cordray