Un bail à Saint-Quentin en 1873

Lors d’une enquête sur le patrimoine de la commune de Saint-Quentin-sur-le-Homme, réalisée en 1981-1982 avec des élèves du Lycée Littré d’Avranches, Monsieur Pacilly nous a permis de consulter quatre baux de fermage signés par son ancêtre pour la terre du Mois-Renard. C’est l’un de ceux-ci qui est reproduit ici.
Un grand nombre de clauses sont restées inchangées pendant des dizaines d’années et l’on peut constater que, près de cent ans après la Révolution, certaines d’entre elles ont encore un parfum d’Ancien Régime. Ce sont toujours les fêtes religieuses qui rythment les principaux événements (limites du bail, paiement des termes) ; les paiements se font au château, non directement à François Marquis, mais à son régisseur. Le loyer est en argent, mais aussi en nature (24 bons (!) poulets). Même si le mot n’existe plus, César Pacilly doit bien cinq jours de « corvées » sur la terre du propriétaire : on est tenté de dire, son maître ! Enfin le sieur Marquis se réserve le droit de chasse. Comme on le voit, François Philibert est le véritable châtelain de Lillemaniére.

« L’an mil-huit cent soixante-treize, le vingt-neuf Juin en la commune de Saint-Quentin au château de Lillemanière
Entre les soussignés
1° Monsieur François Philibert Marquis, propriétaire demeurant en son château de Lillemanière, commune de Saint-Quentin, canton de Ducey, arrondissement d’Avranches
2° Monsieur César Jacques Pacilly et Dame Virginie Françoise Noslais, époux, cultivateurs demeurant ensemble en la commune de Saint-Quentin sur la ferme de Mois-Renard
A été convenu ce qui suit
Monsieur Marquis loue par ces présentes pour neuf années entières et consécutives qui commenceront au jour St-Michel mil-huit cent soixante-treize et qui finiront à pareil jour de l’année mil huit cent quatre-vingt-deux
Aux sieur et dame Pacilly qui acceptent conjointement et solidairement
La ferme de Mois-Renard, située en la commune de Saint-Quentin telle qu’ils en jouissent actuellement, moins une parcelle de terre dite la Maraboterie, d’environ vingt ares que le bailleur se réserve, le preneur connaissant bien la dite ferme il n’en est pas fait plus ample désignation.

Conditions

Les preneurs s’obligent à bien et dûment labourer, engraisser et ensemencer la dite terre en temps de saison convenable, sans commettre ni souffrir qu’il y soit commis aucune dégradation, à tenir le tout en bon état, à employer tous les gluis de sigle et de froment battus sur la pipe provenant de la dite ferme, de manière que les couvertures soient toujours entretenues en bon état et sur l’indication du bailleur, de n’abattre aucun bois par pied, coupelle ni grosses branches ; ils auront seulement les tontures ordinaires de reprise en reprise en loyale coupe, en réparant bien et dument les haies et fossés, ils entretiendront les chemins en dépendant, de manière à ce que le bailleur n’en puisse être inquiété.
Les preneurs laisseront la dernière année les pailles bien et dûment aoûtées et les engrais aux lieux ordinaires, et les foins à faucher, les ayant trouvés de même en entrant, ils fermeront les près la dernière année le quinze avril.
Ils n’auront rien aux arbres et poiriers ou pommiers qui tomberont ou mourront, mais ils les casseront, fagoteront et transporteront au lieu qui leur sera indiqué par le bailleur.
Ils feront les fosses nécessaires pour leur remplacement. Ces fosses devront avoir deux mètres de largeur et cinquante centimètres de profondeur.
Ils devront entretenir, engraisser et soigner une suretière de deux cents surets qui leur seront fournis par le bailleur, sans rien pouvoir y prétendre à l’expiration du présent bail.
Ils devront planter, engraisser et couvrir de gluis et de ronces les entes dont ils auront fait les fosses dans les dimensions ci-dessus indiquées.
Ils feront à leurs frais les barrières nécessaires, parce que le bois leur sera fourni par le bailleur ; ils auront seulement le déchet de la hache.
En cas de réparations à faire aux bâtiments de la ferme, ils seront tenus d’aller chercher et de porter à pied d’œuvre les matériaux nécessaires, pourvu qu’il ne faille pas aller les chercher à plus de deux kilomètres.
Ils ne pourront rétrocéder tout ou partie de la dite ferme sans le consentement écrit du bailleur.
Les sieur et dame Pacilly s’engagent à garder la propriété louée et à empêcher d’y chasser et d’y fureter.
Ils devront faire chaque année cinq journées avec trois têtes de bétail et voiture, dont deux journées pour la rentrée des foins, mais Monsieur Marquis nourrira les bestiaux, le tout sans indemnité ; ils devront aussi fournir vingt-quatre bons poulets par chaque année.
Le bailleur se réserve le droit de chasse sur les immeubles compris dans la présente location.
Les preneurs devront faire assurer les bâtiments compris dans la présente location pendant la durée de leur bail, et ils acquitteront sans répétition les frais de la dite assurance.
Les sieurs et dame Pacilly acquitteront seuls et sans répétition les contributions de toute nature qui pourront gréver pendant la durée de leur bail la terre du Mois-Renard.
Ils devront réparer les fossés des pièces de terre à eux louées et qui donnent sur la futaie de Lillemanière.

Prix

En outre toutes les charges et conditions ci-dessus, le prix de la présente location est consentie moyennant une somme de quinze cents francs par chaque année que les preneurs s’obligent conjointement et solidairement à payer au domicile du bailleur en deux termes et paiements égaux à Noël et Saint-Jean-Baptiste de chaque année après jouissance, excepté la dernière année qui sera payable à la Saint-Michel, avant de rien enlever sur la dite ferme, si mieux n’aiment les preneurs donner bon et valable caution.
Le présent pourra être déposé devant notaire toute fois et quantes, en l’absence comme en présence des preneurs, à la volonté du bailleur et sans autre avertissement, le tout aux frais des preneurs qui seront tenus d’en délivrer une grosse au bailleur.
Pour l’exécution du présent bail, les parties élisent domicile en leurs demeures respectives.
Fait et signé double après lecture en la commune de Saint-Quentin au château de Lillemanière, les dits jour, mois et an que dessus. »

Signatures de François Marquis, César Pacilly et Virginie Noslais

La reproduction des signatures montre aussi la différence de degré d’instruction entre les trois signataires. Si celle de François Marquis est fluide et dénote l’aisance de celui qui a l’habitude de signer, celle de César Pacilly est plus « scolaire », mais bien lisible. En revanche son épouse a manifestement eu le plus grand mal à écrire son prénom et il semble même que ce ne soit pas elle qui ait écrit son nom.

Document proposé par Daniel Levalet