Le samedi 10 octobre 2015, nos sociétaires se sont rassemblés à l’église du Mesnil-Gilbert, dans la vallée de la Sée pour y découvrir deux manoirs inédits. Ils se sont d’abord rendus au Mesnil-Tôve.
Le manoir du Grand Aunay.
Les propriétaires du Grand Aunay seront pendant plusieurs générations les mêmes que ceux du manoir du Bois-Herbert (au Mesnil-Gilbert) où la Société devait se rendre en fin d’après-midi.
Le logis du Grand Aunay semble avoir appartenu (et avoir été construit ?) par la famille Guesdon, originaire de Perriers-en-Beauficel (50). Une branche de cette famille a pris le nom de Guesdon de Beauchesne.
Le premier personnage qui se rattache avec certitude à ce logis est Richard Guesdon (né vers 1615) avocat, sieur de la Mardelle (en Perriers-en-Beauficel) marié vers 1636 avec Jeanne Guesdon. Son épouse est décédée dans cette maison du Grand Aunay et a été inhumée dans l’église de Mesnil-Tôve le 24 décembre 1676. Leurs fils, Richard Guesdon (v. 1638 à Chérencé-le-Roussel) sieur de la Mardelle, conseiller du roi, lieutenant en la prévôté générale de Normandie épousera Renée Laurette de Savigny (v. 1644) sœur de Jean de Savigny, seigneur du Mesnil-Rainfray (v. 1641 – 1704). Cette dernière appartenait à la famille Gambier, anoblie en 1544, dont le chef était seigneur de Savigny (près de Coutances) et qui obtint en 1598 des lettres de commutation de son nom en celui de « de Savigny ». Renée de Savigny, épouse de Richard Guesdon héritera de la seigneurie du Mesnil-Rainfray après le décès de son frère. Elle est décédée dans cette maison le 9 octobre 1718 et inhumée dans la nef de l’église du Mesnil-Tôve le 19 suivant. Jeanne Guesdon, leur fille, apportera le Grand Aunay à son époux, Henri de La Chambre, écuyer, sieur du Bois-Herbert (le Mesnil-Gilbert).
Ȧ partir de cette époque les deux propriétés resteront liées aux différentes successions. Henri de La Chambre meurt au Grand Aunay le 25 septembre 1718 et son épouse le 26 décembre 1743. Leur fille, Elisabeth de La Chambre, dame du Bois-Herbert et du Grand Aunay apportera ces deux biens à son mari (mariés en 1731 au Mesnil-Tôve) Étienne Julien de Tesson (1702-1761) écuyer, receveur de la taille de l’élection de Mortain. Leur fils Julien Jean de Tesson dit « le comte de Tesson », né au Grand Aunay le 8 décembre 1745 sera reçu écuyer ordinaire du roi Louis XVI. Il est le dernier seigneur du Bois Herbert et du Grand Aunay. Il meurt en 1824 à Monteille (Calvados) où son fils Alexandre François de Tesson était le maire.
Charly Guilmard
L’architecture du manoir
De plan rectangulaire, le manoir du Bas Aunay pourrait de premier abord passer pour une construction homogène de la fin du XVIIe siècle ou du début du siècle suivant. Mais le décalage des niveaux décelable grâce aux ouvertures de la façade sur cour, révèle qu’il s’agit d’une construction plus ancienne dérivant même du schéma médiéval du « hall and chamber block », avec une grande salle de plain pied à gauche surmontée de la chambre principale et dans la partie de droite d’un cellier à demi enterré surmonté de deux chambres secondaires.
Une rapide et partielle visite me permet de proposer la chronologie suivante : d’une première phase hypothétique de la fin du Moyen Âge ou de la première moitié du XVIe siècle, il subsiste peut-être le mur de refend au centre du bâtiment avec dans la chambre de droite une belle cheminée qui peut être datée de cette époque, mais il n’est pas impossible qu’il s’agisse d’un remontage d’un élément antérieur lors de la phase suivante.
La deuxième phase voit la reconstruction presque complète du logis avec à l’arrière une aile basse perpendiculaire et sur cette même façade arrière au droit du mur de refend une tour abritant un escalier en pierre. De cette deuxième phase subsistent quelques ouvertures sur la façade arrière et notamment la porte du cellier avec sur son linteau une grande et curieuse accolade surmontée de deux fleurs de lys assez maladroitement dessinées et une grande baie, elle aussi surmontée d’une accolade, qui était autrefois munie d’une grille défensive. Le dessin particulier de ces accolades permet de supposer que cette phase de reconstruction doit se situer à la fin du XVIe siècle.
La troisième phase doit être située à la fin du XVIIe siècle ou au début du XVIIIe siècle. L’aile basse à l’arrière disparaît ne laissant sur le mur gouttereau que la trace de son solin ; à sa place une grande baie est percée pour éclairer une des chambres aménagées lors du cloisonnement de la grande chambre du premier étage. C’est de cette époque, qui voit le réaménagement des espaces intérieurs, que datent les percements de la façade sur cour avec ses linteaux surmontés d’arc de décharge caractéristiques de cette période.
Enfin la quatrième phase doit être située à la fin du XVIIIe siècle ou avant la levée du cadastre napoléonien au début du XIXe siècle. La tour d’escalier disparaît et on construit contre le mur arrière un appentis assez bas. Les marches de granit qui subsistent en réemploi en grand nombre dans l’escalier extérieur de la façade sur cour ou formant le piétement de la table de jardin étant tantôt rectangulaire, tantôt de plan trapézoïdal. On peut en déduire que la tour d’escalier devait être probablement de plan rectangulaire et construite non en vis mais vraisemblablement autour d’un mur d’échiffre.
François Saint-James
Puis, nos sociétaires ont pu découvrir le manoir du Bois Herbert, situé sur la commune du Mesnil-Gilbert.
Le manoir du Bois Herbert
Notice succincte sur les propriétaires (familles du Mesnil-Adelée, de La Broise, de La Chambre, de Tesson), dont certains figurent dans l’ascendance de notre collègue Charly Guilmard.
Le fief du Bois Herbert était un huitième de fief de haubert assis au Mesnil-Gilbert s’étendant sur Chérencé-le-Roussel et Lingeard. Il était constitué d’un manoir avec colombier et domaine situé en bordure de la route de Mortain. Le 28 août 1394, Guillaume, seigneur du Mesnil-Adelée, rend aveu de ce fief puis en 1396 de nouveau au roi Charles VI[1]. Il avait épousé Anne de Crux, peut-être fille d’Henri qui rendait aveu en 1394 pour une franche vavassorie au Mesnil-Gilbert[2]. De leur union est issue une fille, Jeanne du Mesnil-Adelée, mariée à Guillaume de La Broise (veuf d’Olivette Roussel, dame du Mesnil-Rainfray). Elle dut apporter le fief du Bois Herbert à son mari, mort à l’extrême fin du XIVe siècle.
Leur fils, Thomas de La Broise, écuyer, seigneur du Rosay à Reffuveille, rend aveu du fief du Bois Herbert le 6 octobre 1400[3]. La Charte de Navarre de 1401 nous indique que parmi les fiefs relevant directement du roi à cause de son comté de Mortain, Thomas de La Broise rend aveu du fief du Bois Herbert au Mesnil-Gilbert qui vaut 10 livres de revenu[4]. Pierre de Navarre, comte de Mortain, autorise Guillaume du Parc, seigneur des Cresnays, à faire bâtir un colombier au Bois Herbert au Mesnil-Gilbert [5] (avant 1408 date supposée du décès de Guillaume du Parc).
Nous ne trouvons plus de trace du fief du Bois-Herbert avant 1563 et 1584 dates auxquelles Gilles Fortin en rend aveu au duc de Montpensier, comte de Mortain[6]. Un siècle plus tard, c’est Martin de La Chambre, écuyer, sieur des Demaines qui est propriétaire du fief du Bois-Herbert. Il est le fils puîné de Robert de La Chambre, écuyer, seigneur du Vauborel (en Mesnil-Gilbert) et d’Hélène Le Breton (de la famille des seigneurs de la Motte au Mesnil-Gilbert). Il avait épousé Marguerite Legeard, décédée le 23 mars 1686 au Mesnil-Gilbert. En 1692 les héritiers de Martin de La Chambre sont déclarés propriétaires du fief du Bois-Herbert. Henry de La Chambre, fils de Martin, épousera le 12 octobre 1705 au Mesnil-Tôve, Jeanne Charlotte Guesdon (v. 1676-1743) dame du Grand Aunay, fille de Richard Guesdon (v. 1638-1678) sieur de la Mardelle, conseiller du roi, lieutenant de la prévôté générale de Normandie et de Renée Laurette de Savigny (v. 1644-1718). Le couple viendra habiter dans la résidence familiale des Guesdon, au logis du Grand Aunay au Mesnil-Tôve. Le domaine du Bois Herbert devait probablement être occupé par un fermier.
C’est au Grand Aunay qu’Henri de La Chambre, écuyer, sieur du Bois-Herbert meurt à l’âge de 37 ans le 25 décembre 1718. Il sera inhumé le lendemain dans la nef de l’église du Mesnil-Tôve, par le curé du Mesnil-Adelée. C’est leur fille, Élisabeth de La Chambre, baptisée au Mesnil-Tôve le 1er mai 1714 qui héritera du Bois-Herbert et l’apportera à son mari[7], Étienne Julien de Tesson (1702 La Mancellière – 1761 Saint-Jean-de-la-Haize[8]), fils de Robert de Tesson, seigneur et patron de la Mancellière et de Suzanne Caillot.
Le dernier seigneur du Bois Herbert sera leur fils, Julien Jean, comte de Tesson (1745 le Mesnil-Tôve – 1824 Monteille). En 1778 il sera reçu écuyer ordinaire du roi Louis XVI. L’écuyer ordinaire venait immédiatement après le premier écuyer qui était alors le duc de Coigny[9] (un autre normand) nommé en 1774. Les écuyers du roi s’occupaient des chevaux dont le souverain se servait le plus souvent, des carrosses, des calèches et des chaises à porteurs. Julien Jean de Tesson était ainsi logé à Versailles, dans les bâtiments du roi nommés les hôtels des Louis. Il est décédé le 16 décembre 1824 au château du Mont-de-la-Vigne à Monteille où son fils était maire.
Charly Guilmard
L’architecture du manoir
À la fois siège d’une seigneurie ancienne et centre d’une exploitation agricole, ce manoir a heureusement conservé un important colombier, emblème du privilège seigneurial
De plan circulaire et couvert d’un toit conique, il peut remonter à la fin du Moyen Âge, mais a probablement été reconstruit à l’époque moderne. On remarquera la bande d’enduit lisse qui recouvrait les maçonneries de la partie supérieure sous les ouvertures d’envol des pigeons, et qui devait défendre (ou protéger) les hôtes du colombier de l’intrusion des rats, belettes, fouines et autres carnassiers nuisibles aptes à grimper aux murs.
À peu de distance du colombier, le logis a lui aussi été transformé et en partie reconstruit et présente un assemblage de deux parties très différentes. Après une visite rapide et partielle, je propose la chronologie suivante : une première phase au début du XVIe siècle voit la construction d’un logis comportant deux pièces par niveau, avec à gauche, la grande salle et la chambre principale au-dessus et à droite du mur de refend, deux pièces superposés avec peut-être un cellier et une chambre secondaire.
De cette construction primitive subsiste intact le pignon gauche qui porte encore deux importantes cheminées en granit dans la grande salle et la chambre au dessus.
La deuxième phase peut être datée du XVIIe siècle et voit les percements des murs gouttereaux refaits. Les traces de ces reprises sont bien visibles dans les maçonneries. Enfin la troisième phase voit la division verticale du manoir en deux parties indépendantes dotées chacune d’un escalier propre. La partie de gauche, sans doute abandonnée aux fermiers, est laissée dans son état alors que la partie droite est en partie reconstruite avec un réaménagement complet des espaces intérieurs : une cage d’escalier est créée pour desservir ce logis indépendant et l’ancienne chambre haute est divisée en plusieurs pièces, d’où la curieuse cheminée placée à l’arrière sur le mur gouttereau pour le chauffage d’une des petites chambres du premier étage. Le raffinement de ces aménagements, la forme en arc segmentaire des ouvertures indique une reconstruction de cette partie à la fin du XVIIIe siècle et correspond sans doute à une occupation de cette partie par le seigneur propriétaire.
Cette cohabitation sous un même toit des familles des fermiers et des propriétaires n’est pas exceptionnelle. Nous avons souvent évoqué à l’occasion d’autres visites la présence de logis secondaires réservé aux propriétaires comme au très intéressant logis de Saint-Quentin-sur-le-Homme que nous avons découvert il y a peu, ou même d’une seule chambre conservée à l’usage du seigneur ou du propriétaire pour des séjours occasionnels dans des logis occupés depuis longtemps par les fermiers. C’était peut-être le cas de la chambre haute du manoir de la Basse Vignière, à Tirepied, et même de la chambre conservant une cheminée médiévale au manoir du Bas Aunay décrit ci dessus.
Mais la division verticale d’un logis ancien est ici, comme au manoir de l’Erre à Champcervon, particulièrement marquée du fait de cette reconstruction.
L’église Notre-Dame du Mesnil-Gilbert
Cet agréable après-midi s’est heureusement achevé par la découverte de l’église Notre-Dame du Mesnil-Gilbert qui, bien qu’assez modeste, présente un certain intérêt. Elle a sans doute été entièrement reconstruite à la fin du XVIe siècle et conserve de cette époque ses charpentes lambrissées, plus simples sur la nef réservée aux fidèles et plus richement ornées dans le chœur.
Agrandie au début du XIXe siècle, avec la construction de deux chapelles formant transept, elle fut dotée à la fin de ce même siècle d’un clocher-porche de style néo-roman.
Du mobilier, nous retiendrons les tombes des anciens seigneurs de la paroisse (voir ci-dessous) et, surtout, de part et d’autre du retable classé deux statues médiévales : l’une est une Vierge à l’enfant et l’autre une Marie Madeleine, toutes deux datées par la CAOA de la fin du XIVe siècle.
François Saint James