Savigny-le-Vieux : l’église et l’abbaye

Le samedi 9 mai, nos sociétaires se sont retrouvés dans le sud du Mortainais pour y découvrir, guidés par Claude Groud-Cordray, les ruines de l’abbaye de Savigny-le-Vieux.

Situé au carrefour de trois provinces et de trois diocèses, puis aujourd’hui de trois départements et régions, Savigny-le-Vieux dérive d’un nom de domaine de type gallo-romain Sabiniacum. Bien que la voie n° 14 passe au nord de l’église, aucune découverte archéologique n’y a été réalisée, si ce n’est dans les communes voisines, à Buais, aux Loges-Marchis ou à Saint-Symphorien-des-Monts. Ordéric Vital y signale cependant les ruines d’anciens ouvrages fortifiés dont on ne connaît pas l’origine.

L’église
Au milieu du XIe siècle, l’église paroissiale de Savigny-le-Vieux et les terres qui en dépendent sont données par Main II, seigneur de Fougères à l’abbaye de Marmoutier, avec le consentement et l’autorisation du duc de Normandie Guillaume. Si l’église est attestée à cette époque, il ne reste rien du bâtiment primitif, hormis des pans de murs adossés au transfert et datés du XIVe siècle. Les bras du transept furent ajoutés en 1742 par le curé, Dom Michel Foucault. Au milieu du XIXe siècle, l’un de ses successeurs, le curé Lurois, estimant que l’étroitesse de l’église « fournissait aux hommes un motif de rester pendant la messe dans le cimetière », prolongea l’édifice de six travées. Le clocher en bois, en mauvais état fut reconstruit en pierre derrière le chœur – élargi à cette occasion. Il est en partie soutenu par deux colonnes en granit provenant de l’abbaye de Savigny, dont les chapiteaux sont décorés de pampres et de raisins.
L’église abrite aujourd’hui plusieurs autres objets provenant de l’ancienne abbaye. Le cénotaphe – ou « tombeau vide » – de saint Vital, date du XVIIIe siècle. En pierre calcaire, sa face principale relate un miracle opéré par saint Vital. Le gisant de Jean Leverrier, trente-huitième abbé de Savigny, mort le 12 septembre 1409 est une œuvre, extrêmement restaurée. Elle était autrefois située sous un enfeu dans la nef de l’église abbatiale. De l’abbaye de Savigny proviennent également deux bas-reliefs du XVIe siècle représentant un moine et sainte Anne et la Vierge, le carrelage rouge et noir du chœur, les deux volées de cinq stalles et une armoire de style Louis XIV contenant les reliques des saints de l’abbaye… À cet inventaire il faut ajouter une petite statue de Vierge à l’Enfant du premier tiers du XVe siècle, qui porte une ressemblance avec celle de l’église voisine de Lapenty.

L’abbaye
La fondation de l’abbaye de Savigny s’inscrit dans le grand mouvement de renouveau de la vie monastique à la fin du XIe et au début du XIIe siècle. Elle est l’œuvre de Vital (c. 1060-1122), ancien chapelain du comte Robert de Mortain (1055/1063-8 décembre 1095 ou après) et chanoine de la collégiale Saint-Évroult de Mortain, devenu par la suite ermite et prédicateur itinérant. Animé à la fois d’aspirations ascétiques, contemplatives et apostoliques, il regroupe autour de lui un petit nombre de disciples. Après l’échec d’une première fondation à proximité de Mortain, la forêt de Savigny – où il avait établi un ermitage et où il vivait –, aux confins du duché de Normandie, face au Maine et à la Bretagne est mise à disposition de Vital par le seigneur Raoul de Fougères (c. 1064-c. 1112/1113) en 1112 pour créer un monastère. La fondation est officialisée l’année suivante par le duc de Normandie et roi d’Angleterre Henri Ier Beauclerc (1100-1135), l’évêque d’Avranches Turgis (1094-1133/1134) accordant à cette occasion l’exemption des plaids épiscopaux. Il est fortement probable qu’à l’origine, la fondation était un monastère double, Vital ayant regroupé autour de lui des hommes et des femmes. Ces dernières ont pu être établies à proximité du monastère masculin dans la forêt de Savigny. Ce n’est qu’au cours du XIIe siècle qu’elles sont installées à Mortain, dans un établissement aujourd’hui désigné sous le nom d’Abbaye Blanche.
L’énergie déployée par les premiers abbés va rapidement transformer l’établissement, devenant chef d’ordre, à la tête d’une grande puissance économique. Les premières décennies suivant la fondation constituent une période favorable qui voit la formation d’un patrimoine cohérent, fruit d’une véritable politique d’acquisition, essentiellement localisé dans les diocèses d’Avranches, de Rennes et du Mans, l’abbaye sachant dès ses débuts capter les faveurs d’un grand nombre de bienfaiteurs laïcs, princes territoriaux et grands aristocrates, mais également petits seigneurs, familles et réseaux de vassaux. À partir du milieu du XIIe siècle, les donations s’accroissent, l’abbaye intensifiant son implantation dans le nord-ouest de la France et Outre-Manche : elle possède alors un réseau de plus de trente abbayes filles. Elle bénéficie en outre d’une protection royale constante.
L’œuvre de Vital est poursuivie par son successeur Geoffroy (1122-1138/1139), considéré comme le véritable promoteur de l’ordre de Savigny. Il termine la construction de l’église abbatiale commencée sous Vital, peut-être en bois, et dédicacée le 1er juin 1124 en l’honneur de la Sainte-Trinité en présence de cinq évêques.

En 1147, sous l’abbatiat de Serlon (1140-1153), vraisemblablement à la suite de difficultés internes, Savigny rejoint l’ordre cistercien, la communauté savigniacienne, vivant sous la règle de saint Benoît, ayant déjà adopté un contenu plus sévère.
Plus tard, impliquée dans le conflit entre le duc de Normandie et roi d’Angleterre Henri II Plantagenêt (1151-1189) et l’archevêque de Canterbury Thomas Becket (1162-1170), c’est vraisemblablement à Savigny qu’a lieu l’entrevue préparatoire entre légats pontificaux et envoyés du roi, peut-être sous la médiation de saint Hamon, religieux de l’abbaye.

En 1173, décision est prise par l’abbé Jocelin (1165-1178) de reconstruire une nouvelle église abbatiale, l’ancienne étant trop vétuste et trop petite. La chapelle Sainte-Catherine, construite au sud des dortoirs et attenante au cimetière, sert d’oratoire pendant les travaux : les reliques des saints de Savigny y sont transférées lors d’une cérémonie de translation présidée par l’abbé de Clairvaux Pierre (1179-1186). Malgré plusieurs donations et les interventions des papes Lucius III (1181-1185) et Grégoire VIII (1187), l’abbaye connaît de nombreuses difficultés financières. Le 15 août 1200, les moines entrent cependant dans la nouvelle église abbatiale, qui n’est consacrée qu’en 1220.
Il s’agit d’un édifice de grandes proportions – quatre-vingt-trois mètres de long, vingt-sept mètres de large pour la nef et deux fois plus pour le transept –, avec un chœur à déambulatoire et chapelles rayonnantes de plan carré, construit dans un granit gris ou ocre extrait localement.

En 1243, a lieu une seconde translation des reliques dans l’abbatiale reconstruite. La cérémonie solennelle, présidée par l’abbé Étienne de Lexington (1229-1243), le 1er mai, réunit, selon les sources, plus de 100 000 personnes, signe de l’intérêt porté aux saints, véritables intercesseurs entre Dieu et les hommes. À cette occasion est composé le « Livre des miracles des saints de Savigny » marquant l’apogée du culte des saints de l’abbaye – Vital, une certaine Adeline, Geoffroy second abbé, les moines Pierre d’Avranches et Hamon de Landacob, ainsi que le novice Guillaume de Niobé – et leur canonisation officieuse. À cette occasion, l’abbé de Savigny prélève de petites parties des corps pour les conserver dans des reliquaires confectionnés pour l’occasion.

Les sources ne permettent pas d’appréhender l’histoire de l’abbaye de Savigny durant la Guerre de Cent Ans. On sait seulement qu’elle fut occupée par une troupe anglaise.
En 1517, la commende est introduite à l’abbaye de Savigny : Louis d’Estouteville est nommé par le roi de France François Ier.
En 1562, les protestants saccagent l’abbaye et assassine son abbé, César de Brancas (1562). Les dégâts sont rapidement réparés, notamment sous l’administration de l’abbé Claude du Bellay (1588-1609) qui fait également remplacer les tombeaux des saints de l’abbaye, brisés par les Calvinistes et refaire le cénotaphe de Vital. La reconstruction spirituelle est cependant plus longue. L’introduction de l’Étroite Observance entre 1672 et 1676 se heurte à l’opposition des religieux et ne peut se faire que sur intervention du roi.

Un incendie a lieu dans la nuit du 12 au 13 août 1705, qui détruit la chapelle Sainte-Catherine, le bâtiment des hôtes, et endommage le réfectoire. Néanmoins, les bâtiments étaient en excellent état lors de la Révolution française, qui amorce la destruction presque totale de l’abbaye de Savigny.
En décembre 1790, les derniers moines quittent l’abbaye. La population des alentours se livre alors au pillage des bâtiments et le logis abbatial est incendié. Mobilier, terres et bâtiments sont vendus entre 1791 et 1793 : l’abbaye est alors systématiquement dépecée, servant de carrière de pierre. Les trois cents hectares de bois sont vendus et défrichés pour en faire des exploitations agricoles. En 1845, Arcisse de Caumont achète la porte romane du réfectoire, classée Monument Historique en 1924.

Il ne reste donc de la splendeur monumentale de l’abbaye de Savigny que quelques fragments lapidaires : la porte du réfectoire dite Saint-Louis, quelques élévations du chœur et des chapelles rayonnantes, le bâtiment des hôtes et la léproserie du « Désert » qui conserve quelques fresques.
Plusieurs documents permettent cependant de dresser un plan des bâtiments abbatiaux. Au sud de la nef, le cloître formait un vaste quadrilatère régulier de quarante mètres de côté, avec en son centre un bassin surmonté d’un obélisque. Dans le prolongement du transept se trouvaient la sacristie, la salle du chapitre, puis les dortoirs situés au-dessus d’un cellier voûté. Le réfectoire, construit parallèlement au dortoir, possédait deux niveaux : un pour les religieux et un pour les frères convers. Entre les deux bâtiments, le long du cloître, la boulangerie était surmontée par le bâtiment des archives qui conservait le chartrier. Les cuisines se situaient dans sa continuité. Une galerie au premier étage du dortoir faisait la jonction avec le noviciat situé un peu à l’écart. Adossé au cloître, le bâtiment des hôtes a été terminé en 1730. Il abritait en outre les appartements privés du prieur, sa chapelle et sa bibliothèque. D’autres bâtiments, dont on ne sait que peu de choses, complétaient l’ensemble : infirmerie, porterie, buanderie…. L’abbaye avait également mis en valeur l’espace alentour, notamment en canalisant les cours d’eau et en créant des terrasses pour faciliter l’exploitation agricole. La maquette, œuvre de Louis Saint-Pois, présentée sur le site, permet de se rendre compte de la grandeur de l’ensemble abbatial.

Si cet immense ensemble architectural a en partie aujourd’hui disparu, un certain nombre de biens, éparpillés lors de la Révolution, existent encore. Outre certains objets aujourd’hui déposés dans l’église paroissiale, on peut encore admirer le retable des Douze Apôtres à Notre-Dame-du-Touchet, le maître-autel en marbre et la lampe de sanctuaire à la collégiale de Mortain, les grilles et l’orgue à la cathédrale de Coutances, un Christ en croix au musée de Vire, la chaire à Moulines…

Claude Groud-Cordray
Compte-rendu proposé dans la Revue de l’Avranchin (t.92, p.289-296)

 

Un commentaire

  1. Je suis allé voir en me promenent c’est vraiment à voir aujourd’hui le 19 juillet 2020 quel histoire des siècles passer

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