Une route fantôme…

Une route fantôme…

À l’occasion de recherches sur les fortifications de terre médiévales de l’Avranchin et du Mortainais, Claude Groud-Cordray m’avait signalé un texte mentionnant, dans la région de Buais, un « grand fossé » (magno fossato). Au Moyen Âge, ce terme désigne un fortification linéaire défensive, un gros talus précédé d’un fossé. En essayant de retrouver la trace de cette structure dans le parcellaire, j’ai fait une autre découverte : un chemin rectiligne, comme isolé dans son environnement.

Remontons le temps. Dans l’Antiquité, une voie traversait le sud du Mortainais, des Loges-Marchis au Teilleul, partie d’un itinéraire de long parcours conduisant de Corseul (dép. Côtes d’Armor) à Sées (dép. Orne). Au Moyen Âge, après la construction des châteaux de Saint-Hilaire-du-Harcouët et du Teilleul, une liaison s’avéra nécessaire pour relier les deux sites : un chemin sera alors tracé par Saint-Symphorien et Ferrières (Fig. 1). Puis, dans la deuxième moitié du XIXe siècle ou au début du XIXe s., on construisit une route plus directe en reliant Saint-Symphorien à Sainte Anne-de-Buais et en réutilisant à partir de là l’ancien tracé de la voie antique : elle devient une partie de la Route départementale n° 21 de Saint-Malo à Alençon. Or, à la même époque, le cadastre de Buais (Fig. 2) montre, un peu plus au nord, une « route de Saint-Hilaire au Teilleul », deux tronçons d’une voie rectiligne d’1,5 km environ. Mais cette »route » n’a ni début ni fin ; on ne distingue aucune continuité d’un itinéraire ni à l’ouest ni à l’est. Au XIXe siècle (Fig. 3), le tracé est toujours visible sur la Carte d’État-Major, mais tracé en pointillé ; il commence donc à disparaître. Pourtant on le distingue encore sur les photos aériennes de l’IGN des années 1950, avec sa double rangée d’arbres latérale (Fig. 4). Aujourd’hui, quelques limites parcellaires discontinues gardent seules le souvenir de cette route.

Qu’était -ce donc que cette route « fantôme » ? On peut supposer qu’il s’agissait d’un premier essai de liaison entre Saint-Hilaire et Le Teilleul, peut-être dès le XVIIIe s. avant la construction du tracé toujours existant. Mais pourquoi ce seul tronçon et son abandon ? Une hypothèse peut être proposée : les contraintes de la topographie. En effet le tracé est assez mal choisi, il doit franchir plusieurs petits ruisseaux et leurs vallées nécessitant donc des travaux de remblaiement. Alors que la liaison finalement retenue se tient toujours à la même altitude en suivant la ligne de crête, ce que 2 000 ans plus tôt, les Romains avaient déjà compris !

Daniel Levalet

 

figure 1
Figure 1 : Les deux itinéraires sur la carte de Cassini
figure 4
Figure 2 : Photos aériennes IGN, années 1950
figure 3
Figure 3 : Carte d’État-Major, Géoportail 1820-1866
figure 2
Figure 4 : Plan cadastral de Buais, 1801, section B1 dite de Cerisel