Villiers-le-Pré
Le samedi 10 février, la Société avait rendez-vous à Villiers-le-Pré. Monsieur Lehurey, maire de la commune, a accueilli les 80 sociétaires, qui courageusement ont bravé pluie et vent glacial pour découvrir cette église qui, bien que modeste, est sans doute une des plus attachantes du canton.
Sans doute édifiée sur un site romain, comme le suggère son toponyme antiquisant, l’église est dédiée au prince des apôtres, et ses maçonneries révèlent quelques fragments de sarcophages mérovingiens en calcaire de Sainteny.
Donnée en 1036 avec les domaines de la Croix et Ballant aux moines du Mont Saint-Michel par un chevalier nommé Adelain, elle redevint la propriété du seigneur du lieu, peut-être par don d’un abbé à l’un de ses chevaliers vassaux, comme ce fut le cas ailleurs au milieu du XIe s.
L’édifice actuel a été entièrement reconstruit dans le courant du XVIe siècle, tout en conservant un plan très simple et des formes remontant aux premiers édifices romans de notre région : une nef unique et un chœur à chevet plat, charpenté comme la nef, et séparé de la nef par un mur percé d’un arc triomphal et surmonté à l’extérieur d’un petit clocher à jour, ou clocher peigne.
Le chevet plat, plus soigné que le reste de l’édifice, comme c’est souvent le cas, présente de belles maçonneries « en grand appareil ». Il est surtout percé d’une grande baie.
Fortement restaurée au début du XXe siècle, la verrière figure, au milieu d’un décor de rinceaux traités en grisailles et en jaune d’argent, saint Pierre et saint André, les deux patrons de l’église, entourés des armes des seigneurs de la paroisse.
Cette verrière peut être datée, comme le chevet et une bonne part de l’édifice, de 1578 (date gravée sur une des pierres du chevet), et comme souvent dans notre région, à cette époque de troubles religieux, la forme de cette baie reste fidèle au style gothique tardif.
Au milieu du XVIIe siècle, l’édifice fut modernisé. L’arc triomphal brisé, séparant la nef du chœur, fut remplacé par un arc « à l’antique », c’est-à-dire en plein cintre. Ce chantier est peut-être contemporain du remplacement du portail occidental, daté de 1652, ou de l’ajout d’une grande chapelle seigneuriale et d’une petite sacristie, sur la côtière nord du chœur en 1664.
L’arc monumental de cette chapelle, couverte d’un berceau, adopte cette même forme « à l’antique », mais la baie percée dans le pignon de cette chapelle semble plus ancienne. Peut-être s’agit-il d’un remploi dans cette construction du milieu du XVIIe siècle d’une baie du XVIe.
Enfin, il faut rajouter à cette rapide description architecturale le remplacement en 1781 des baies des murs méridionaux par de nouvelles ouvertures, plus larges et plus lumineuses.
L’autre intérêt de l’édifice réside dans son mobilier qui, ancien et bien conservé, est exceptionnellement daté, grâce aux écrits d’un des prêtres de la paroisse au XVIIIe s. Retrouvé aux Archives de la Manche et dépouillé par notre confrère Benoît Roux, ce livre de comptes est dû à l’abbé Charles Davy qui, appartenant à une vieille et importante famille de la paroisse, fut vicaire ou prêtre habitué à Villiers. Tout au long de sa vie, il a tenu, de 1744 à 1793, un livre de comptes où sont consignés, entre autres, nombre d’achats d’ameublement et de travaux à l’église Saint-Pierre.
On y relève que, le 26 juillet 1751, on a charroyé d’Antrain la « contretable » (le retable) de l’église, faite par un nommé La Fontenne dans le manuscrit, pour le prix de 150 livres, payé par le seigneur patron de l’église, M. Tuffin de Ducy. Le tabernacle est commandé pour la Saint-Michel pour 190 livres « sans dorure et sans statue ». Il ne sera livré que le 18 janvier 1752, avec une statue de Saint-Armel, réalisée par un certain Hulin, sculpteur à Roz, pour le prix de 66 livres. Le 7 mars 1753, les deux retables latéraux, dédiés à la Vierge et à saint Armel, sont réalisés par le même Fontenne d’Antrain pour 180 livres les deux. Au mois de juin de la même année, le sculpteur Hulin fournit, pour 190 livres, les deux statues qui encadrent le retable principal, Saint-Pierre et Saint-André.
L’abbé Davy a noté que le même artisan a fait quatre statues en 1755 pour le prix de 80 livres pour l’église de Vergoncey.
On relève enfin l’achat de chandeliers et d’ornements liturgiques auprès d’un marchand de Villedieu et la fonte en 1761 de deux cloches par un fondeur de Villedieu, Morigeot, et un fondeur lorrain, Nicolas Simon.
Le manoir
À l’issue de la visite de l’église, la compagnie s’est transportée dans la cour du manoir seigneurial voisin.
Remontant sans doute aux origines du fief, ce manoir fut la propriété au XIIe siècle de la famille de Villiers, puis passe aux de la Cervelle (ou Servelle). Apparentée aux du Guesclin par les Malesmains, cette famille ancienne de Saint-James tenait son patronyme d’une petite terre située à Poilley, et portait « trois losanges d’or sur fond de sable ». Guillaume de la Cervelle, garde du scel des obligations de la vicomté de Saint-James en 1300, était en conflit avec les moines du Mont pour ses moulins. Il était écuyer et devint seigneur de Villiers au début du XIVe s.
Le plus illustre membre de cette famille fut Sylvestre de la Cervelle qui, après des études à la Sorbonne à Paris, séjourna à la cour pontificale à Avignon. Aumônier du dauphin Charles en 1360, il devint évêque de Coutances en 1371 et fut enterré en 1387 dans la chapelle d’axe de la cathédrale, qu’il avait prolongée.
Propriétaires du fief du Guéperoux à Aucey, les de la Cervelle vont vendre Villiers en 1618 aux Guichard. Le manoir passa par héritage, au début du XVIIIe siècle, aux Tuffin de Ducy.
Originaire de la région de Caen, cette famille fit souche sur les marches de Bretagne et entra dans l’histoire avec Armand Tuffin, marquis de la Rouerie (1751-1793) qui, héros de la guerre d’Indépendance américaine aux côtés de Lafayette et de Rochambeau, fut ensuite l’un des premiers chefs de la chouannerie.
Son cousin Charles-Joseph Tuffin, seigneur de Villiers, succomba sous les coups des Bleus, près de Liffré, le 12 floréal de l’an II, alors que sa veuve, Marie-Anne Tuffin de Ducy, échappa de peu à la guillotine avec la fournée d’Avranches, en juillet 1794.
Héritières de ce qui restait du domaine de Villiers après la Révolution et la vente des biens nationaux, les demoiselles de Gaalon, filles de Renée Bernardine Tuffin de Villiers, léguèrent le 18 octobre 1824 le château à Mgr Dupont-Poursat, évêque de Coutances, qui en fit une résidence estivale pour les missionnaires diocésains, dont l’abbé Léon Barbey d’Aurevilly, frère du Connétable des lettres.
Ce château, reconstruit au XVIIIe siècle, avec ses belles avenues plantées, a hélas disparu. Il ne reste aujourd’hui qu’un manoir reconstruit, sur un logis plus ancien, dans le courant du XVIIe s. La façade sur la cour présente de belles lucarnes à frontons triangulaires, proches par leurs décors du portail de l’église daté de 1652, et un bel escalier en pierre, étrangement rejeté contre le pignon du logis.